Les structures présentes :
Les hauts parleurs, et alors…
Issus de la complicité entre le Polaris de Corbas et l’association Raymond et Merveilles en réponse au besoin de rencontre de certains conteurs de la région lyonnaise.
Lieu d’échange sur les pratiques artistiques, le quotidien des artistes et des compagnies, les projets, les formations…
Ce n’est pas une association ni un label, mais plutôt une envie de se fédérer, une plate-forme où les conteurs du territoire se retrouvent une fois par trimestre.
Raymond et Merveilles
Compagnie représentée par Guy Prunier qui a été nommé « commissaire au conte » du Polaris suite à une résidence de 3 ans riche en projets.
Ti Woch
Collectif de conteurs-diseurs issus de la Caraïbe, qui en expriment la diversité, de la tradition à la modernité.
Editions Oui Dire
Représentées par Pascal Dubois - production de disques de contes distribués entre autre par Armundia Mundi.
A la lueur des contes
Représentée par Marie-Pierre Caburet – diffusion du conte dans la région de Montbéliard (Doubs) depuis 7 ans. Organise, autour du conte traditionnel, des formations, des ateliers, des ballades contées etc… tout au long de l’année, en particulier les 29 de tous les mois. Tente également de programmer des conférences qui parlent du conte. Espace ressource pour les passionnés, agenda des manifestations en ligne.
La maison du conte de Namur
Collectif composé de 11 conteuses + 1 conteur, qui racontent partout, dans les crèches, les hôpitaux… et dans des petits lieux. Pratiquent les « conteries » à plusieurs voix, privilégient la parole nue et ne font pas de « spectacles ». Scène ouverte le 10 du mois.
La grande oreille
Revue entièrement dédiée au conte et aux arts de la parole. Ils sont en difficulté : abonnez-vous, réabonnez-vous et faites abonner vos amis !
Les festivals représentés :
Le Lâcher d’oreilles
Festival biennal co-organisé par le Polaris de Corbas et Raymond et Merveilles. Créé pour offrir un lieu de présentation des spectacles aux artistes dont les disques étaient présents au catalogue de R & M, il est devenu, au fil des ans, un évènement permettant le croisement des artistes, la naissance de projets.. dans un esprit collectif (les artistes ne sont pas payés) de partage et de générosité. Pour info, lors de la 7ème édition, une trentaine de spectacles ont été présentés pour le bonheur d’environ 4000 spectateurs.
Paroles en festival
Organisé par l’AMAC : 24 ème édition en Rhône-Alpes, se déroule au mois de mai, présente une vingtaine de conteurs dans 15 à 18 lieux. Destiné à un public enfants et adultes, il encourage la découverte de conteurs hors région, et la création. La « parole conteuse » y est préférée au coté plus théâtral ou musical.
4ème édition en Ardèche, se déroule également dans différents lieux, avec de nombreuses structures, s’y ajoutent quelques partenaires comme les compagnies de marionnettes. La prochaine édition ardéchoise sera féminine et mettra à l’honneur les conteuses car le conte est un milieu très féminin qui n’est pas toujours très justement représenté lors des festivals.
Les contes givrés
Organisé par l’association Antipodes, en Bourgogne depuis 10 ans, sur une cinquantaine de scènes très diverses, aussi bien en ville qu’en campagne, ouvert aux contes, récits, nouvelles…
Les contes de l’anis étoilé
Ex Contes à déguster : la même équipe et toujours dans la région de St Etienne (42). De connivence avec la médiathèque de St Etienne et les différents équipements sociaux, il est également accueilli par le Musée de la Mine. Ce festival qui se déroulait auparavant dans la vallée de l’Ondaine est prévu cette année du 3 au 5 juin et se tiendra à la médiathèque de St Etienne, au musée de la mine et dans les MJC stéphanoises.
Fin de matinée :
pour illustrer le débat prévu l’après midi, nous avons droit à 7 versions, très différentes, du « Petit chaperon rouge » racontées par : Elisa De Maury, Agnès Chavanon, Françoise Barret, Annie Gallay, Anne Kovalevsky, Claire Péricard et Guy Prunier.
Usages de l’enchantement,
ou comment le conteur est un menteur qui dit la vérité.
Le débat sera, à chaque son de cloche, tous les 1/4 d’heures, entrecoupé de brèves menteries, racontés au hasard par l’un des conteurs présents qui s’emparera de la parole.
1 / POURQUOI – Politique, séduction…
Un propos, des messages à porter ? Une portée politique .
Raconter pour plaire, séduire ? Rapport de séduction.
Bertrand Chollat « ouvre le bal » avec un texte de mise en condition :
“En guise de préambule éthymo-non-logique, résultats découverts dans le dictionnaire historique de la langue française, 3° édition – mars 2001.
Au XII ème siècle, un conteur est une personne qui raconte des histoires dans le but de divertir, des récits de fiction à dessein de tromper (en conter de belles !) des menteries galantes à dessein de séduire (aller conter fleurette).
Et aujourd’hui, quand je dis cette formule avant mes histoires contées : « un conteur est un menteur qui vous dit la vérité », formulette facétieuse au caractère paradoxal créant chez le spectateur une agitation cérébrale, ça n’est pas comme on le croit une simple tournure de rhétorique. Je commence ainsi un jeu entre moi et le public. La surprise crée le désir, le désir d’en savoir plus et le silence qu’il déclenche.
J’ai gagné la première manche !
Associant conteur – menteur, je pose le postulat que c’est le même matériau qui sous-tend notre bla bla : songe – mensonge – enchantement – rêve – chimère – illusion. Bref, un champ hors du réel. Ça s’appelle distanciation. Et dans cet espace là, peut naître la poésie. Associant conteur – menteur, je remets de la sympathie dans cette valeur dénigrée par notre morale sociale faisant ainsi un pied de nez à 2000 années cléricales.
J’ai gagné la deuxième manche !
Et si j’ajoute, pour le bonus, que ce qui fait la différence d’avec les hommes politiques, c’est que eux mentent avec aisance en nous faisant croire le contraire, je dénonce ainsi la distance entre un menteur de poésie et une réelle hypocrisie, faisant basculer ma parole et ma dimension de conteur dans une délicate alternance, délicate mais apodictique, entre l’univers poétique et l’engagement politique. Sans oublier mon but ultime qui reste le plaisir du public.
Ainsi la troisième manche.
Tiercé gagnant s’il applaudit.”
Salah Al Moussawy – Calligraphe – fait le parallèle entre le conte et la calligraphie, autre manière d’illustrer un mot ou une phrase à l’aide d’un bambou taillé appelé calame. Il fait lui aussi appel à l’imaginaire du spectateur, et peu également illustrer un propos de différentes manière selon le pourquoi, le pour qui et le comment.
Référence de Guy Prunier à « l’espèce fabulatrice » de Nancy Hudson. « La vérité est déjà assez incroyable, pourquoi alors inventer des histoires ? » A cette question posée par des détenues de la prison de Fleury Mérogis, l’écrivaine Nancy Huston, tente de répondre. Elle évoquera en particulier la place qu’occupent l’imaginaire et la fiction dans la vie des humains même lorsqu’ils pensent en être détachés. Dés notre naissance, avec par exemple le choix de notre prénom, la religion de notre famille, notre lieu de vie… L’imaginaire nous accompagne. Elle montrera qu’un grand nombre de nos comportements dépendent de ces fictions individuelles ou collectives. Alors pourquoi inventer ? Pour « enrichir » et nuancer cet imaginaire parfois archaïque dans l’espoir de mieux « maîtriser » la réalité ?
Margrethe Hojlund nous parle de partage et de séduction, entre tradition et renouveau. Où se situe le conteur entre conteur traditionnel, passeur de mémoire et conteur d’aujourd’hui là pour séduire ?
Elle nous fait remarquer qu’il n’y a qu’en français que conteur rime avec menteur, et que dans les autres langues ce parallèle n’est jamais fait…
Jean-Loup Baly - outre la valeur éducative du conte, raconte surtout pour passer du bon temps avec le public, le conte pour adulte est surtout là pour partager le plaisir. On peut y glisser, ou pas un clin d’oeil à l’actualité. Dans nos société qui ne sont plus anciennes, rurales et analphabètes, le but est plutôt de divertir !! Passer un moment de plaisir, le conteur a plutôt ce rôle là et peu importe que ce soit vrai ou pas !
Bruno Cléry s’est tout d’abord orienté vers la BD parce que, dans son pays (la Guadeloupe) on raconte pendant les veillées funèbres, et qu’il avait du mal à trouver sa place entre le conte traditionnel et actuel. Il a découvert qu’en France on raconte en toute occasion, et il trouve peu à peu sa place propre entre tradition et modernité. Au-delà d’être des menteurs, ils sont des passeurs.
Françoise Barret défend l’idée que tout artiste crée pour combler un vide, une angoisse qu'il ressent, et non pour séduire. Plutôt que de tomber dedans il faut parler, créer... Si il y a séduction c'est qu'il a désir de partager, et donc parfois plaisir partagé."
Robert Nana explique qu’en Afrique les griots racontent pour illustrer une idée que l’on veut partager, pour apaiser quand on a un problème. Le conte sert à faire passer un message sans le dire, juste en le faisant comprendre. Le conte africain a toujours une morale, ainsi que la chanson. Le mot conte n’existe pas dans le langage africain, on parle de « conterie ». C’est une grande idée que l’on veut partager avec d’autres. En Afrique, c’est quelque chose de très sérieux et c’est le métier des griots, il n’est pas question de parler de menteurs !
Quand tout va bien dans ces cultures, on ne raconte pas. Le conte sert uniquement à apaiser les problèmes, il véhicule des messages de cohésion et utilise plusieurs chemins pour circuler.
Pour Alain Dumas, le conte est une idée mise en image. Il sert à faire passer les idées d’une manière qui soit compréhensible par tous, il maintient la cohérence dans la communauté. Aujourd’hui les préoccupations des hommes sont toujours les même ; les contes interrogent la personne humaine et véhiculent les symboles. C’est le conte qui rend la vie en communauté cohérente !
Salah Al Moussawy n’est pas d’accord sur le parallèle conteur/menteur : les histoires sont racontées par les sages pour éduquer les enfants. Le conteur est considéré comme un philosophe, le conte est là pour donner des leçons d’une façon agréable.
Claire Péricard cite le poète Alain Serres « dans mensonge, il y a songe, donc il faut m’excuser de na pas dire toute la vérité ». Elle s’interroge sur le fait que dans ce qu’il y a d’intuitif, de sens caché, de la part de d’inconscient contenus dans le conte, tout le monde se reconnaît. Et défend le fait qu’aujourd’hui se permettre de prendre du temps et du plaisir à raconter ou à écouter est un acte de résistance au quotidien.
Ghislaine Moreno raconte parce que, depuis toute petite, elle aime le rêve et désire y rester et se demande de quel droit elle pourrait donner des leçons. Elle veut juste rester dans le rêve et faire rêver les autres.
Chloé Gabrielli s’interroge sur quelle vérité on donne ? Uniquement la sienne.
Alain Dumas nous rappelle cette phrase de Sotigui Kouyaté : « il y a 3 vérités : Ta vérité, Ma vérité et La vérité ».
Claire Truche – metteur en scène – a besoin du texte, et défend la parole résistante. Théâtre ou conte, le travail est le même et la question fondamentale : partager pour qui et avec qui ? Mentir est nécessaire pour vivre ensemble. Certes le spectacle ne doit pas être uniquement un moment de plaisir, ce qu’on y transmet est important. L’être humain a peur du noir, il a besoin qu’on lui raconte des histoires, mais la télévision tend à combler ce vide ; il devient difficile de faire sortir les gens de chez eux.
Bertrand Chollat : dans le conte, le fond est important, pas juste la forme, et le plaisir ne doit pas se baser sur rien, ne doit pas faire plaisir à tout prix !!
Odile Groslon pense qu’il n’y a pas que le plaisir mais forcément autre chose derrière, que le conteur est plus menteur que l’acteur parce qu’il ne joue pas un rôle, il n’a pas de masque, il s’adresse directement au public sans passer par un personnage.
Chloé Gabrielli débute toujours par « il était une fois » ou « je vais vous raconter une histoire » pour que le public soit averti qu’il s’agit bien d’une histoire.
Annie Gallay se demande si elle est conteuse ou pas ? Elle ne raconte pas pour donner des leçons, ne sait pas comment ses histoires arrivent dans la tête du spectateur et ne cherche pas à embrigader le public, juste à le solliciter.
Jean-Christophe Jehanne, musicien issu du rock, jouait uniquement pour le plaisir, des musiciens et du public, et trouve que le conte rajoute un message en plus. Il y a toujours une morale qui va vers le bien. Existe-t-il des conteurs nazis ? Des conteurs du diable ?
Marc Lauras, musicien également, ne sait pas exactement pourquoi il joue du violoncelle, mais il en ressent le besoin. Pour lui l’artiste est une sorte d’exhibitionniste « vous allez tous vous taire, c’est moi qui parle ». On ne l’explique pas, mais lorsqu’un conteur est sur un plateau, il y a, à un moment, un déclic qui se produit et le public est embarqué. Une transformation s’opère, la magie de l’imaginaire du conteur et du spectacle qui se confondent. Peut-être que le musicien parle de sa façon d’entendre le monde, et le conteur de sa façon de voir le monde…
Le fait de raconter (ou jouer) est un plaisir orgueilleux de savoir que des gens vont se déplacer pour écouter ce que le conteur a à dire, ce qu’il a créé. Un côté égocentrique.
Tu dis que tu ne parles pas de toi mais toute ta personne sur scène parle de soi !
Une personne du public met l’accent sur le fait que chaque conteur a son expression personnelle, et qu’à partir de l’histoire le public a le plaisir de se fabriquer ses propres images, ce qui n’est pas le cas face à une pièce de théâtre ou, à fortiori, à la télévision où les images sont livrées toutes faites.
Anne Kovalevsky, ex infirmière, a l’impression de moins mentir depuis qu’elle est conteuse… Elle met le conte au service de la vie, et raconte pour rester vivante.
Paul Pons, ex professeur, raconte parce que les histoires sont là et qu’elles font comprendre des choses qui ne pourraient être comprises autrement.
Béatrice Maillet, sur le pouvoir de la parole et la manipulation, rappelle l’importance de l’éthique personnelle, du respect du public et de mettre en route la pensée critique du spectateur. Il s’agit de s’interroger sur ce qu’on fait de cette parole, c’est un pouvoir terrible alors il faut quand même envisager les retombées que nos contes peuvent avoir dans les têtes. Ne pas dire sa vérité mais donner quelque chose, mettre en route une idée qui va faire son chemin. C’est au public de décider ensuite.
Agnès Chavanon ne pense pas qu’on raconte qui on est, mais les histoires qu’on aime, pour le sens qu’elles ont et pour qu’elles fassent leur route toutes seules.
Guy Prunier : on ne raconte pas sa vie, on nourrit ces récits de ce que l’on est, de ce que l’on vit…
Pour Anne Deval, chaque conteur est unique et a ses raisons pour raconter, il n’y en a pas des mieux que d'autres. Pour elle, cette pensée mongol : "on ne veut pas écrire notre Histoire, on veut la transmettre" et des recherches qui prouvent que "quand on imagine intensément, le cerveau croit que c'est la réalité", l'ont amené à utiliser l'oralité et l'imaginaire pour imaginer en groupe un monde meilleur et le faire rentrer dans la réalité. Pour lutter contre les médias qui monopolisent le cerveau et le font croire en l'impuissance, elle transmet des histoires vraies d'humains qui ont su rester humains face à l'inhumanité.
Annie Gallay aime aller chercher ceux qui n’ont justement pas décidé de se faire raconter des histoires, les tout petits par exemple. D’abord, on les dérange et, à un moment, le courant passe.
Jean-Claude Botton pense que les conteurs sont là pour partager du sensible… La vie du conteur n’intéresse personne mais lui donne une couleur personnelle.
Margrethe Hojlund différencie le messager qui ne connaît pas le message qu’il transmet de celui qui le connait, et dès lors, peut le manipuler.
Jean-Jacques Vannier a choisi le jeu théâtral plutôt que le conte. Ce qui l’intéresse c’est la vérité sur scène, le fait d’incarner plutôt que de jouer un personnage. Il essaie toujours d’être le plus vrai possible, au plus près de ses personnages. Il partage tout à fait la citation suivante de Tchekhov : « j’écris pour des gens qui vivent mal, pour qu’après ils aient envie de vivre mieux ».
Claire Péricard nous fait remarquer (a propos du conteur qui parle de lui ou non) que Pépito Mattéo utilise le « je » dans ses spectacles. Ce qui nous ramène à la question de la différence ou de la frontière, très ténue parfois même non identifiable, entre un spectacle de conte auto biographique et un one man show plus théatral !?
Guy Prunier émet l’idée qu’un comédien en jeu peut se permettre d’apparaître comme un personnage antipathique, pas le conteur qui est contraint de créer une sympathie entre le public et lui-même pour que le spectacle fonctionne.
D’après Jean-Jacques Vanier, le conteur doit dire et le comédien doit être.
Françoise Barret cite Pépito Mattéo : « le conteur est un auteur interprète ».
Brigitte Giraud - écrivain, à la différence d’un auteur, travaille sans confrontation avec le public. Son travail d’écriture est solitaire, elle ne pense jamais au lecteur éventuel. Elle écrit parce qu’elle a besoin de comprendre le monde, comment fonctionne le lien entre les gens. Qu’est ce qu’être parent ? Enfant ? Comment se croiser ? Et le lien amoureux ? Ecrire lui a permi de mettre à jour la façon dont on passe sa vie à se mentir à soi même. L’écriture est une épreuve de lucidité, la parole doit être simple pour créer le lien. La première question posée par les lecteurs, lors des rencontres, est « mensonge ou vérité ? » : est-ce que ce que vous écrivez est vrai ? Par la fiction, on comprend le sens de l’histoire.
2 / COMMENT – Outils sensoriels, paroles, métaphores…
La seconde partie du débat débute par quelques textes sur lesquels s’appuyer :
Tout d’abord, Béatrice Maillet qui joint le geste à la parole, pour illustrer l’art de s’adresser au tout petits, et même avant.
Chant, corps, musicalité - outils de l'enchantement...
Ouvrages de référence : La voix et ses sortilèges - De la langue au langage - Bébés chasseurs de sons - L'oreille tendre
- Chapitre 1
Tu n'es pas né, je te parle déjà, et, étrangement, je ne te parle pas comme a un adulte, ni dans le contenu, ni dans la forme. Conviction absolue que tout t'atteint très loin, au profond, a l'essentiel. Alors je te parle de l'essentiel : d'amour !
Les mots doux quasi ridicules pour qui n’est pas dans notre dyade. M'amour, mamourette, mon tout petit riquiqui mignonnet, petit coeur, soleil, trésor...
On est déjà dans le symbolique, car pour de vrai tu n'es ni soleil, ni trésor, ni coeur au sens du dictionnaire...Je t'invite déjà, dans le monde des récits. Je re-cite, je récite une litanie de jolies choses, la forme est déjà musicale, inconsciemment construite...
Et plus que les mots, il y a la voix qui s'adresse à toi : une palette musicale qui n'est pas utilisée dans le langage courant. C'est chuchoté, modulé, le grain est plus profond, plus suave, l'intensité et la vitesse sont infiniment plus riches en variations que dans le langage courant. Que dans les échanges d'informations avec mes contemporains...
D'ailleurs, la plupart du temps, avec mes contemporains, je n'échange pas grand chose d'autre que des informations...
Sauf sur scène, c'est drôle non ? Avec toi je ne suis pas sur scène, pourquoi ma voix est celle de la re-présentation quand je te parle ? Je me sens pourtant très naturelle à jouer ainsi de ma voix. En fait oui, je suis en re-présentation, je te présente le monde...
Et je sens ma voix « complète, totale ».Les mots s'adressent généralement à la tête et je te fais cette confiance que tu y as accès, à ta mesure bien sûr ; la mélodie s'adresse a une autre zone, je le sais, j'ai fait des études de chant et de psycho ! La mélodie s'adresse à la zone émotionnelle, et le rythme au corporel, je te parle donc d'une manière complète et totale.
Avec toi, j'ai le sentiment que ce qui compte, ce n'est pas seulement les informations que je te transmets mais le sens profond, et le sens profond passe par le sens sensoriel, la caresse à tes oreilles (premier sens que tu perçois même avant de sortir).
- Chapitre 2
Ca y est, tu es sorti, tout petit riquiqui et nous ajoutons à nos échanges d'autres composantes : le regard, je te regarde et mon visage par les sourires, les mouvements de ma bouche et de mes yeux complètent la palette multiples des indices dont tu vas faire provision. Ta « moisson de signes » (dixit Madame Attias, Psychologue). Et puis, nous échangeons également par des gestes qui eux non plus ne font pas partie du langage des autres .C'est un langage pourtant très élaboré, très cadré et très symbolique. Une sorte d'écriture corporelle, très sensuelle, très sensorielle... Sur le bras, dans la main, chatouillis organisés (migue miguemeu) tu ris, je ris...
Ta tante est danseuse et je sais que je te mets sur ce chemin là quand je joue a « la petite jabotte » sur tes jambes... Elle ne fait que développer ce langage, comme moi, conteuse, je ne fais que développer ces minuscules récits qu'on nomme comptines et qui contiennent en germe tous les schémas narratifs du monde (la poule sur un mur), comme ta maman musicienne ne fait que développer les rythmes, les mélodies et les jeux musicaux de nos petites chansons rythmées...
Ma voix joue, mes mains jouent, je joue, c'est gratuit, c'est trop bien, tous nos échanges subtils sont construits sur ce registre là. Ce n'est pas ta tête, « pensante » qui accède à mes propos, ce sont tes sens aux aguets.
Quand je te chante « Charline, charlinette, landérirette, ta mère elle est pas là landérira » ma voix chantée dédramatise la réalité de ta mère absente, je la nomme, je la chante, je la fais exister dans une notion universelle que le message direct ne prend pas en considération. Si c'est chanté, c'est paquet cadeau, si c'est chanté, c'est pas moi c'est extérieur à moi, je me reconnais mais ce n'est pas moi ... Et ce que tu préfères, c'est landérira, qui ne veut rien dire et tu jubiles !!!!!
(D'ailleurs, pour nous les adultes, c'est bien pareil entre l'info directe et la mise en forme)
Tu as dix mois et nous vocalisons ensemble, tu cherches, les cris, les aigus, les staccato, les fortissimo, les graves, les rugissements, les sons ouverts (aaa oooo) les percussives, (bbbbb) les lallations (avec la langue)... plaisir de bouche, plaisir sensuel, quasi érotique, et moi je revis mes cours (onéreux) de technique vocale ou j'ai dû réapprendre tout ça que tu sais déjà et que tu vas, comme moi, enfouir grâce à tous ces gens qui vont t'inviter de plus en plus au réel : répète : papa, maman... table, fenêtre... voiture... et plus tard, tu devras, si tu veux être conteur réapprendre tout ça.
- Chapitre 3
Ca y est, tu es « grand ». Tu as trois ans, tu parles, tu nommes le monde, tu poses des questions : c'est quoi ça ? Que fait la dame ? Les espaces de rêve et de complicité intenses persistent cependant, quelle chance pour nous : nous avons nos petits trésors, semés hier, il y a un siècle, quand tu étais si petit : nos comptines superbement complètes (cinq bûcherons dans la forêt, dont tu connais la musique et que tu refais, avec la musique dans ta voix, à ta petite cousine qui vient de naître). Tu n'as jamais vu de bûcheron, tu ne sais même pas ce que c'est, mais le schéma narratif, le rythme de la comptine (qui n'est même pas chantée), tu l'as intériorisé et surtout, tu as intériorisé l'exceptionnel, le non-sensique et le super sensuel... tu as aussi intériorisé que cette relation sur ce registre là, est précieuse, rare et profonde.Tu la réclames aux moments de blues, pour te remplir, pour t'apaiser, pour rêver... quand le réel finalement est inapte à te satisfaire, à combler je ne sais quelle demande...Tu me tends ton pied et je sais ce que tu veux...
J’ai lu quelque part que seuls les êtres humains sont en mesure de faire exister l'absent par le biais de l'imaginaire... de l'abstraction... toi, tu te fais ré-exister toi-même dans ce passé délicieux où, tes besoins élémentaires satisfaits, tout n'était qu'émerveillement, découverte heureuse d'un monde heureux rempli de parents aimants et attentifs.
- Chapitre 4
Demain, ce sera l'école et , il faut bien le dire, de moins en moins de place pour le rêve, l'imaginaire, heureusement pour toi, mamie conteuse, parents musicien, tata danseuse, tata sculpteur, tonton poète... t'entourent et se préoccupent de tes enchantements...
Les artistes et les enfants habitent le même pays, a dit Elzbieta. Elle a raison et le spectacle vivant constamment rejoue ces formes premières ou l'abstraction est déjà posée, la symbolique et la sensorialité plurielle...
Il faudra se battre pour des espaces de rêve persistent, des spectacles vivants, ou l'artiste, par sa capacité à être vivant, nous rend vivant aussi...
Quid des petits nourris de TF1 ??? Quid des propositions utilitaristes ???”
Suit un texte de Chloé Gabrielli :
“Séduire par l’interprétation du conte : notre travail de conteur mais séduire surtout par le conte en lui-même, son contenu.
I - Comment l’enchantement fonctionne-t-il ? Le conte est un enchantement mais nous, acteur du conte, conteur, voix du texte qu’est le conte, savons-nous seulement comment l’enchantement fonctionne. Nous savons user de nos silences, de nos éclats de voix, nous faisons des effets dramatiques, le suspens est à son comble. Au contraire, nous savons faire rire, surprendre, nous avons ciselé nos mots, choisis nos adjectifs, travaillés notre rythme, choisis le thème et le propos. Tout est prêt et nous savons que cela va marcher. Nous entrons sur scène et effectivement, le silence se fait, les yeux s’ouvrent, les corps s’apaisent et se figent et l’enchantement agit…
Mais savons-nous exactement comment fonctionne notre cocktail ?
Qu’avons-nous fait pour que cette vieille dame nous souffle dans un murmure : « Je suis redevenue une enfant pendant cette heure avec vous » Pourtant, voilà qu’en racontant nous acceptons de redevenir des enfants, cela n’est pas exact : nous avons seulement permis au public de laisser venir leurs émotions (espoir, envie de pleurer, réflexion sur les valeurs de la vie), de la même manière qu’ils le faisaient étant enfants et se l’interdisent depuis qu’ils sont adultes…
Pourquoi cet homme qui s’approche et cherche un acquiescement à sa question, qui est une affirmation et à laquelle il ne peut trouver d’autre explication : « Vous avez raconté cela pour moi ! » Pourtant nous avons parlé à tel et tel spectateur et à tous ensemble mais chacun s’est senti concerné, visé car nos contes sont des contes universels qui parlent de la vie.
Comment expliquer aussi que cette personne nous dise ? : « Je suis partie dans un autre monde ». Pourtant notre conte parle du quotidien mais le conte permet tout ce que la vie interdit. Dans le conte, chacun peut être un autre, et puis on s’en sort par la magie ou l’illogisme ou autre logique du conte qui n’est pas la logique de la vie
II - Le contenu
Alors malgré les efforts que nous avons faits et dont j’ai parlé avant sur la forme utilisée : notre voix, nos silences, notre rythme, cette séduction par le corps que nous utilisons dès lors que nous sommes sur scène. Que peut-on dire qui a agi d’autre sur le public ?
Et bien le fond, le contenu bien sûr ! C’est pour cela que nous traitons de tous ces thèmes universels, forts, faisant appel aux émotions, aux sentiments dont on ne parle pas ailleurs que dans les contes : trahison, défauts, peurs, amour, fratrie …
Alors effectivement, raconter c’est « réveiller le public », stimuler son imaginaire, l’amener à faire son chemin tout seul, faire naître une émotion, éveiller la curiosité… par les thèmes de nos contes.
III – La vérité
Il n’y a pas qu’une seule vérité : « il y a Ma vérité, Ta vérité et La vérité ».
Raconter, c’est donner sa version des choses, prendre partie, tirer des conclusions et des logiques personnelles, toucher du doigt des détails, tirer les ficelles des personnages pour leur faire faire ce que nous voulons d’eux. Séduire, c’est montrer un visage, une version, la meilleure pour se faire aimer. Raconter, c’est donner la version que l’on préfère pour faire aimer nos personnages, notre propos, nos conclusions, nos illogismes. Et se faire aimer un peu aussi.
Alors peu importe que nous donnions LA vérité, nous ne proposons que pour le temps où le public est sous le charme de notre voix et de nos histoires, une vérité, notre vérité. Et puis, le conte prend fin et chacun repart de son côté, avec juste des poussières d’étoiles au fond des oreilles pour tenir chaud encore un petit moment ou avancer un peu plus.
Pendant ce temps de racontage, notre vérité était vraie, nous l’avons servie de notre mieux avec nos armes. Nous avons utilisé notre pouvoir de séduction pour faire croire que notre vérité est la bonne.”
Et enfin celui de Guy Prunier :
“Qu’est-ce qui nous fait courir ?
Le conteur est un menteur qui ne dit pas la vérité mais un menteur qui y croit (sinon ça sonne faux et c’est mauvais pour un menteur), un menteur qui y croit comme un amant au bord du plaisir croit qu’il aime, comme un croyant sincère en prière aime dieu pour que dieu l’aime. Comme un enfant est un cow-boy ou un indien quand il joue, le conteur croit ... mais le sait (qu’il croit tout en étant un menteur). Parce que la vérité ? C’est qu’il déforme ! Il sait qu’il déforme la réalité.On déforme le monde. Pourquoi ? Pour le questionner, le découvrir, le réinventer, lui donner du sens, l’enchanter ? Faut y croire pour être convaincant… Et convaincant… Il faut l’être pour séduire… séduire pour pas mourir.
On déforme le monde. On joue avec les mots. Pourquoi ? Pour séduire ! Et séduire, c’est promettre du bonheur… Ah ! Donner du bonheur (espérant bien en recevoir)?
On séduit, on trouble, on charme. On dit et on se dit qu’on aime ? Pourtant on ment. Parce qu’au fond, en bon animal que l’on est, quand on s’est nourrit, ne séduit-on pas, pour se reproduire et se garder en vie.
On pourrait se contenter de se nourrir… Mais il y a un plaisir plus fort que la gastronomie! Le sexe et ses plaisirs impérieux. (C’est ce qu’a inventé la vie pour nous motiver, la peur de la mort n’étant sans doute pas suffisante). Et une fois le désir comblé ? L’homme roseau pensant en redemande, et même au-delà de ses forces, en veut plus qu’il ne peut.
Porté par le désir (l’urgence) de survivre, de se survivre mais aussi dans le désir de prolonger ce désir (et non pas de le détourner, de le tromper comme on trompe l’ennui, comme on comble sa solitude)… On s’invente un « surproduit »: l’amour. (le sous produit, l’ersatz, c’est le match de foot à la télé, l’alcool, le joint, les sucreries… là ça va… mais l’idolâtrie, la bigoterie…) Le vrai plus, messieurs dames, c’est l’amour !
Je cherche mes mots
Comme un chercheur dort
Pour retrouver l’eau
Pour retrouver l’or
L’éclat d’un soupir
Le grain de ta peau
Et tes beaux yeux clairs
Il en faudra peu pour te dire
Encore
J’aime ton sourire
Et le doux des corps
Que nos mains dessinent
Les courbes, les pleins, les creux délicats
La tasse de thé, le bonheur aux lèvres
L’âme qui se réjouit
Au coin d’une histoire
L’eau vive et la source
Je cherche mes mots
J’en dis déjà trop
L’amour ! Sexe et poésie. Et c’est du boulot ! J’aime ton sourire, je voudrais me perdre dans ton regard, garder ton baiser contre mes lèvres à jamais, et quand tu es loin, je te réinvente en fermant les yeux.
N’est-ce pas simplement l’espoir des plaisirs à venir, ou peut-être la grande intimité, la grande foi qui les précède, ce beau mensonge, qui nous font faire tant d’effort. Ces chants pour séduire. Pourquoi tous ces détours à dos de mots ?
Et c’est dans ces moments là qu’on s’invente même des fragments d’éternité, (on traque les instants qui meurent « l’élégance du hérisson ») on y croit mais on sait aussi que l’on est éternel jusqu’à l’instant précis où l’on n’est plus rien… Mais l’on se dit aussi que peut-être à force d’y croire… La conscience est une petite flamme qui rêve parfois de se passer de la bougie. Triste sire ? On ment. On y croit. On doute.
Le plus terrible c’est le menteur sans doutes. L’idéologue, l’intégriste (intégrale soumission au texte, à la loi, aux préjugés), l’amoureux tyrannique… le gourou convaincu… Les maîtres enchanteurs !Menteurs, restons fragiles ! Mobiles ! Ne campons pas sur nos mensonges ! Restons des compagnons de rêverie qui entraînent, qui inspirent, qui vitalisent, qui impulsent, qui élèvent et invitent au voyage… Parce que voilà. Conter c’est du mensonge collectif ! Le conteur ne se contente pas d’enchanter l’amoureuse. Il veut être aimé de tous et aimer tout le monde... Magie du verbe... Non pas tout le monde mais de vous qui êtes à portée de voix, vous en chair en os et en émotions. Car on croit en l’humanité, faite de temps, d’espace, d’esprit et de corps.
Et la contemplation de la nature, la délectation d’un bon sandwich, l’éclat de rire qui vous réjouit ? Bien sûr j’aime ça aussi. Ça aussi c’est du bonheur ! Aller jusqu’à séduire un horizon, une montagne, des gouttes de pluie. Enchanter, ré enchanter l’univers. Le spectacle c’est une messe fragile pour l’amour des gens, un culte fugace à la nature, un coït naïf à la gloire de dieu.
Enchantement (du latin incantare, chanter), cérémonie mystérieuse, accompagnée de paroles auxquelles on attribue un pouvoir surnaturel, et appelé ainsi parce que, dans l'antiquité, ces paroles étaient chantées. L'effet que l'on croyait obtenir s'appelait charme, s'il consistait dans une illusion des sens…
Et la beauté des enfants ? Nous profitons du présent pour leur confier l’avenir et nous sommes prêts à les aimer autant que nous nous aimons nous même. Nous rêvons de les enchanter pour qu’ils y croient eux aussi à leur tour. A ceux que l’on aime, on donne ce lourd léger et réjouissant cadeau en héritage : Vous êtes mon éternité.
On y croit. C'est beau.”
Le débat reprend ensuite.
Claude Collin, adjoint à la culture de la mairie de Corbas, intervient alors : il a été enchanté par les différentes versions du « Petit chaperon rouge » qui démontraient bien l’impact de celui qui raconte. Il fait le parallèle entre le conteur et l’homme politique qui ont des points communs notamment lorsqu’ils s’adressent au public ; tous deux sont en représentations et tentent de séduire. Il envie les conteurs qui sont dans l’imaginaire alors que le politique doit impérativement rester dans le réel.
Claire Truche réagit, elle aimerait bien que, parfois, les mots de politiciens la fassent rêver, et elle trouve qu’actuellement ils n’ont pas un langage très « séducteur ». La parole reste un outil de pouvoir trop mal utilisé par les politiciens.
Guy Prunier nous cite un curé qui lui a dit un jours qu’ils faisaient un peu le même métier tous les deux : « l’important c’est d’y croire… »
Margrethe Holjund réfute la notion de parole de pouvoir, au bénéfice de la parole partagée. Pourquoi l’enfant écoute le conteur ? Parce qu’il peut mettre fin à cet échange à tout moment, il n’a pas de réponse à donner.
En écho à cela, une conteuse bénévole, bibliothécaire à la Mulatière, qui raconte à un public d’handicapés issus de l’ADAPEI, nous expose le cas d’un enfant qui n’acceptait de sortir de sa structure que pour écouter des histoires…
Béatrice Maillet note que, pour elle, il s’agit d’une relation triangulaire et non pas à 2 : il y a le conteur, celui qui écoute et le conte.
Venera Battiato insiste sur le fait que par le simple fait de s’adresser à quelqu’un on le fait exister.
Pour Marie-Pierre Caburet, le conte relie le conteur au public et à l’ailleurs. Le conte nous relie à l’absence, ce qui n’est pas, a été… Il relie aussi le conteur à lui-même et l’écouteur à lui-même.
Bertrand Chollat, quant à lui, affirme que le conteur est un homme politique au sens premier du terme (il a une fonction dans la cité) et que le conte a, par essence, une résonance politique.
A la question : « Pourquoi faites vous le métier que vous faites ? »
Jean-Jacques Vannier répond qu’en devenant comédien, il est passé de la répression (sur laquelle a été basée son éducation) à l’expression. But recherché également dans l’écriture.
Béatrice Maillet, pour répondre à la question « comment ? », explique que chacun porte son récit avec son corps, son énergie, son aisance… et que ce n’est pas juste des mots. Il faut être authentique.
Guy Prunier, se basant sur son expérience personnelle, défend le fait qu’un conteur présente souvent un travail « inachevé » qui se modifie, mûrit au fil des séances, du contact avec le public. Pour lui, il est important de rester dans l’inquiétude : qu’est-ce que je raconte, comment puis-je avancer encore mon travail ?
Annie Gallay, passe énormément de temps à préparer ses spectacles destinés aux tout petits, puis encore autant à le modifier en fonction des échanges au cours des séances. Là, on s’attache moins au contenu qu’au fait de réussir à être sur la même longueur d’onde.
Jean-Loup Baly n’écrit, lui, qu’un « pense couillon », une trame sur laquelle il raconte une histoire toujours en mouvements. Sa technique : être vraiment là.
Claire Truche, se sent de plus en plus conteuse par cette recherche de l’authenticité qui est aussi présente dans le théâtre, la frontière entre le conte et le théâtre s’estompe quand il s’agit de mettre en jeu un comédien tout seul et très peu de décors…
Pour Françoise Barret, à l’inverse, l’acteur qui était à l’origine un conteur solitaire, s’est peu à peu regroupé à plusieurs pour raconter et de fait a inventé un rapport au personnage théâtral.
Béatrice Maillet remet l’accent sur l’importance d’être attentif à son public, surtout lorsqu’il s’agit de bébés.
Salah Al Moussawy : le mot sort du coeur !
Jean-Loup Baly, sur la limite entre le conte et le théâtre, souligne que le conteur est en adresse directe à son public, il n’y a personne entre ses personnages et lui alors que le comédien joue son personnage.
Annie Gallay : le théâtre passe forcément par l’écriture, pas le conte. Le conteur a un cheminement de pensée.
Claire Truche : c’est peut-être la différence fondamentale : un comédien apprend son texte, pas un conteur.
Guy Prunier rappelle que la source principale des histoires que racontent les conteurs aujourd’hui viennent de livres et qu’il y a donc obligatoirement un lien, un jeu avec l’écrit.
Agnès Chavanon, quant à elle, aurait plutôt tendance à lire une fois les histoires, puis à les raconter au public plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle trouve une version quasi définitive, autant au niveau du rythme, que du langage, de la voix… Mais surtout pas du « par coeur ».
Bertrand Chollat, lui, écrit tout, longuement, choisit le moindre mot…
Marie-Pierre Caburet cherche à sortir toujours le plus important de l’histoire, elle peut changer au fil du temps. Le comédien, lui, ne réécrit pas : il donne son corps et sa voix au texte.
Margrethe Holjund : le conteur enregistre son histoire en tant qu’images, le comédien en tant que texte.
Alain Dumas revient sur l’activité du spectateur : devant une pièce de théâtre, les images lui sont données, voire imposées, alors qu’en face d’un conteur qui raconte, il fait appel à son propre imaginaire.
Venera Battiato, qui pratique le récit de vie, de sa propre vie, explique que le texte a peu de place, elle fait appel essentiellement à ses souvenirs d’enfance, des images, quelque chose de l’ordre du sensoriel. Enfin ce qui la motive, c’est le désir, l’envie de le dire, et que la scène c’est le seul endroit où on peut être là totalement, heureux…
Nous resterons suspendus aux points et aux lèvres de Vénéra ! Le débat prend fin...
La réalité se rappelle à nous, l’heure tourne… il ne nous reste qu’un peu de temps pour manger un morceau avant de filer au cercle 76 pour voir le spectacle d’Elisa, le débat s’interrompt donc ici mais ne s’achève pas. Dans les couloirs déjà, on discute de ce qui a été intéressant, de ce qui a manqué, aurait pu se dire en plus, différemment… A-t-on assez échangé, vraiment débattu, n’aurait-on pas pu être plus ci ou moins ça… on en reparlera…les parleurs ne sont pas prêt de se taire !
Et puisqu’un « conte-rendu » doit être fait, parions que la relecture des différentes interventions nous donnera des éléments pour enrichir nos réflexions à venir et nos pratiques et susciter de nouvelles discussions.
A suivre donc ! Mais attention, à suivre très librement !
Réflexions post « Dites ouïes » d'un spectateur intéressé/intéressant
Philosophe bouquiniste
Je saisis au bond les paroles entendues lors du lâcher d’oreille, et m’interroge moi aussi, en rebond sur l’intitulé, « le conteur, un menteur qui dit la vérité ». Je laisse venir ce qu’ont suscité les paroles, les sourires, les colères contenues… Je mets à mon tour des mots et des points d’interrogation. Je laisse se dérouler une parole qui interroge…
Je ne crois pas que le conte ait principalement rapport à la vérité. Bien sûr, il a un peu à voir avec la vérité, mais pas principalement. Il a davantage un lien avec la question du sens, du souhaitable, avec le couple du bien et du mal, du juste et de l’injuste ; dans la grande bibliothèque du monde, il a davantage à voir avec la question de l’existence qu’avec la question de l’essence et du vrai.
Admettons pourtant qu’il nous invite à la vérité, ou plutôt à sa recherche, à la longue patience de celui qui est en quête… alors, même dans ce cas, il n’a pas principalement rapport avec le couple de la vérité et du mensonge, peut-être davantage avec le couple de la vérité et de la croyance, ou celui de la recherche de la vérité et de ses obstacles. Et puis, de toute façon, l’intitulé a raison de le souligner, le lien entre les couples n’est pas forcément un lien d’opposition ; on peut mentir pour la vérité, ou dire la vérité tout en mentant ; le rapport entre la fiction et la vérité par exemple peut être un rapport d’opposition, mais aussi de complémentarité. Il y a des croyances qui sont des opposés de la vérité ; d’autres des hypothèses, d’autres enfin qui sont presque des vérités… Les couples peuvent s’ouvrir à un troisième, à un quatrième, qui a nouveau se dédouble, etc.
Dire le vrai, dire toute la vérité, on ne peut pas, définitivement pas, dès lors que l’on est dans un rapport aux mots qui n’est pas figé, dès lors que le discours, qui se pose sur le réel pour le faire exister d’abord, pour l’enchanter ensuite, sort de la pure définition logique ; on sait qu’entre le mot et la chose, entre les mots et le réel, se glissent les intentions de celui qui les emploie, les arrange d’une certain façon, que la matière qu’il met en forme construit indépendamment du projet initial de celui-ci ses propres sonorités, son propre rythme, sa propre épaisseur, les propres vides autour de ce qui est dit ; on sait qu’enfin, il y a les oreilles de celui qui écoute c’est-à-dire sa propre subjectivité, son propre inconscient… Et on voudrait que le conte, lui qui délibérément nous promène, cherche à nous perdre et nous retrouve, nous parle mensonge et vérité ? Non, il nous parle possible, vraisemblable, probable, potentiel, il nous laisse faire notre sauce, nous ouvre des images, du sens, nous met en mouvement, mais dans tout ce mouvement là, la quête et l’avertissement sont plus importants que le résultat.
Dira-t-on de quelqu’un qui a trouvé chez Epicure des réponses à ses angoisses devant la mort, qu’il a trouvé la vérité ; évidemment non ; on peut toujours dire qu’il a trouvé sa vérité (une vérité existentielle) mais alors le mot vérité se vide de sens ; et ce qu’a trouvé le bonhomme chez Epicure, c’est surtout du sens, un guide, un objet qui aide à porter, à se comporter, comme une canne aide à marcher ; le monde de l’existence : pas celui de l’essence ou de la vérité ; on a confondu, au sens de fondu ensemble, depuis Platon deux, trois, quatre registres : ce qui est vrai doit être en même temps vrai, bien, beau, bon. Il faut dire que l’on croyait à une vérité avec un grand « V », définitive, intemporelle… De cela, on est un peu guéri. Même la science ne prétend plus remplacer la religion et percer tous les secrets de l’univers. Et pourtant, malgré tout, la question de la vérité s’est imposée partout comme LA question ; depuis 2000 ans, dans la société occidentale, elle a surgi, a éclipsé les autres recherches, posant partout l’impératif de recherche du vrai (religion, sciences, aujourd’hui thématique de la transparence), et l’impératif de dire vrai (confession catholique, aveu recherché dans les procès…). Partout cette interrogation a éclipsé les autres besoins, le besoin de fête – le versant dionysiaque dont parle Nietzsche – d’enchantement. Partout les pouvoirs se sont servis de la vérité pour imposer leurs affects tristes. Le pouvoir politique libéral nous a fait croire à sa vérité concernant les lois de l’économie, l’impératif de réalisme, et puis d’un seul coup, alors qu’il avait emporté presque tout le monde dans son navire, la baudruche se dégonfle et découvre sa mystification. Le réel qu’on croyait collé à jamais à ce discours s’ouvre à nouveau, sur des lendemains qui ne chantent pas, certes, mais au moins n’est-on plus enfermé dans cette langue de bois, cette non-langue, et finalement ce non-réel.
Comment expliquer le succès du conte aujourd’hui (qu’on ne peut à mon avis séparer du retour des religions, du merveilleux, du fantastique, de la féerie, de la science-fiction). On peut le voir comme un grand mouvement d’opposition à la main-mise du dire-vrai et de l’impératif de la vérité sur le monde, tel qu’il a pu se formuler dans nos sociétés au détriment des sociétés traditionnelles basées sur la parole et le sens. Elle a voulu trop conquérir, elle a trop prétendu dire le réel ; elle n’a pas vu que, pour importante qu’elle soit, elle devait laisser la place à d’autres dimensions si elle ne voulait pas se retourner contre elle-même ; des parents qui veulent trop protéger leurs enfants, l’empêchent d’apprendre à se débrouiller ; l’omniprésence et la prétention du discours vrai fait renaître ce qu’il a voulu étouffer, la part d’interrogation, de sens à construire, de remise en cause critique, de réflexion sur ce qu’est le bien, l’importance de l’image mais surtout de l’imagination cad la faculté à fabriquer des ; SES images… Peut-être qu’effectivement, rêver, imaginer, se faire soi-même sa moisson et sa provision d’images, laisser remonter tout ce qui est non-dit, caché, occulté dans les interventions officielles et descend d’en haut, c’est un acte de résistance qui permet de s’opposer à la lente colonisation de notre mémoire et de notre imaginaire par les vastes campagnes publicitaro-culturelles. Peut-être qu’entendre de vive voix quelqu’un conter, c’est se rendre sensible à un humain « complet » yeux sourire oreilles attitudes mélodie gène inconscient imaginaire…) qui disparaît de plus en plus derrière des comportements stéréotypés pris dans l’urgence des temps.
La force du conte est justement qu’il nous permet d’échapper à la vérité, et à la tyrannie du dire-vrai et du couple mensonge/vérité; c’est parce qu’il ne prétend pas, comme les autres discours « dire vrai », qu’il nous intéresse. Le conte s’adresse à nos imaginaires, à nos rouages secrets ; avec la petite musique des mots et du rythme, il dit bien des choses qui ne concernent pas la vérité ; peut-être parle-t-il à notre inconscient ; peut-être nous dit-il des choses que nous ne comprenons pas, et que c’est cela qui nous plaît, car dans le grand conte de la vie, il faut bien reconnaître que nous ne comprenons pas grand chose. Ils sont les « noyaux d’olive » qu’on tourne sous sa dent, et nous révèlent au fur et à mesure de notre parcours des signes que nous ne connaissons pas ; signes/signification ou signes/sens… le conteur, un homme par-delà la vérité, un homme du sens à fabriquer… un homme centré sur l’existence, qui articule devinettes et récits autour de la question du vrai mais surtout de la manière dont on s’empare de bribes de vrai, de bien, de juste pour tenter de faire un nid qui résiste un petit peu au vent.
Les surréalistes pensèrent autrefois que pour changer le monde, il fallait se libérer de la tyrannie de la raison, de l’ordre vrai, du réel. C’est peut-être encore ce qui est en jeu dans ce sursaut du conte aujourd’hui, dans ce fourmillement de petites histoires portées par des humains qui racontent, interrogent et défont ce que tisse le discours officiel réaliste. Cela aurait avoir avec la libération, plus qu’avec la vérité…
A sa façon ce texte conte des idées et ne prétend pas dire la vérité, il est juste une petite exploration, une petite construction de nid, un petit arrêt-réflexion dans le chemin de la vie.
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Christophe GOUMAZ - Christophe.goumaz@free.fr